Si Jean-Luc Godard avait filmé Roland-Garros, le résultat aurait pu ressembler à ça

Si Jean-Luc Godard avait filmé Roland-Garros, le résultat aurait pu ressembler à ça


Pendant les mois précédant l'ouverture du tournoi, ce rapprochement des plus ignobles digne du plus crasseux des antisémitismes, un antisémitisme nauséabond, avait trouvé un écho tout particulier à l'extrême gauche, et les mots mêmes de Godard, «les attentats-suicides des Palestiniens pour parvenir à faire exister un État palestinien ressemblent en fin de compte à ce que firent les juifs en se laissant conduire comme des moutons et exterminer dans les chambres à gaz se sacrifiant ainsi pour parvenir à faire exister l'État d'Israël», avaient un accent prophétique, comme si le cinéaste suisse, du fond de sa tombe, s'entendait encore à commenter l'actualité toute fraîche. Dans un brouhaha indescriptible, lors d'une conférence de presse destinée à rester dans la légende, de sa voix lente et lourde comme une fondue vaudoise, Godard, entre deux bouffées de cigare, aurait psalmodié que «le tennis, c'est la guerre sans la mémoire, mais avec les juifs quand même… Le tennis, c'est un sport d'aristocrates joué par des capitalistes qui auraient lu Brecht… Sauf que Zverev, il fait du tennis propagande, son revers, par exemple, ressemble à un bruit de bottes… Gaza, c'est l'impensé de l'amortie, on a l'impression d'une accélération de l'histoire alors que c'est l'inverse, le retour au récit de la terreur biblique, un lob de siècle en siècle avec les spectateurs qui regardent la trajectoire de la balle comme les Palestiniens le tracé d'une bombe dans le ciel de Judée.» Qui étaient-ils vraiment, je l'ignorais, mais je m'imaginai qu'à l'époque où la vie de la grande bourgeoise et de l'inamovible noblesse se déroulait encore dans des salons, ce monde disparu si cher à Marcel Proust, dans Le Figaro du lendemain, comme autrefois la liste des invités conviés à une soirée chez telle ou telle marquise, au milieu de la rubrique mondaine, on aurait trouvé leurs noms: «Hier, à Roland-Garros, pendant que l'Allemand Alexander Zverev bataillait contre un joueur venu des terres australes, Alex de Minaur, on remarquait dans les loges la présence de Monsieur et Madame Beaulavoir, tandis que dans le salon d'à côté, reconnaissable à sa paire de jumelles, on apercevait, affublée d'une robe jaune canari, Madamoiselle de la Faisanderie qui semblait-il vouait une attention particulière aux coups de raquette du joueur allemand, dont la haute silhouette devait sans aucun doute lui rappeler celle de son père, le Comte de Raincy, autrefois ambassadeur à Berlin…»

Author: Laurent Sagalovitsch


Published at: 2025-05-25 15:00:01

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