Il l'était d'autant mieux que le hasard, disait-il, l'intuition et l'opiniâtreté, dirons-nous, l'avaient placé dans une position qui aujourd'hui n'existe plus, au confluent des institutions du savoir et de la recherche – Sciences Po puis École des hautes études en sciences sociales (EHSS) –, de l'édition – Julliard et surtout Gallimard –, du débat public – France Observateur, Nouvel Obs, enfin sa propre revue, Le Débat justement –, et de l'engagement qu'on appelle à présent « citoyen » – guerre des Six Jours, BNF, Maison des enfants d'Izieu, lois mémorielles, hôtel de la Marine… De la politique active seulement il se tenait à l'écart, elle qui vit de choses injustes. De l'homo historicus, tel que l'évoque Cicéron dans le Pro Murena et tel que l'a décrit François Dosse dans une biographie ainsi sous-titrée, à quoi bon reprendre les tenants et aboutissants des entreprises considérables, que l'énumération des titres, dont Pierre Nora était virtuose, suffit à rappeler : Journal du septennat (avec Vincent Auriol, 1970), Faire de l'histoire (avec Jacques Le Goff, 1974), Essais d'ego-histoire (1987), Le Débat (1980-2020), et bien entendu Les Lieux de mémoire (130 historiens mobilisés et sept volumes parus de 1984 à 1993). Il faut avoir, au début des années 1980, déjeuné à la table de Simon, Jean, Jacqueline et Pierre Nora ensemble pour ressentir physiquement ce que pouvaient être l'esprit et le charme de cette famille solaire, tout en entrevoyant que ces deux vertus devaient se nourrir aussi de passions souterraines et de blessures enfouies, et aussi de l'empreinte laissée par l'Occupation, quand il fallait, au cœur du Vercors, échapper à la Gestapo.
Author: Laurent Theis
Published at: 2025-06-02 18:54:00
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